« Et si, plutôt que de râler, on se mettait à agir ? »

C'est très résumé, mais c'est un peu comme ça qu'a commencé notre aventure en 2015. Elise était graphiste en tout genre, moi je faisais des magazines de surf. On en avait assez de travailler “dans le vide”, sans conviction, et surtout de le faire pour des gens qui ne respectaient ni nous, ni autrui. Bref, de la truie au cochon, il n'y avait qu'un pas, on en avait marre d'être tout le temps en colère, alors on a tout plaqué. Et puis faut aussi avouer que la vie a mis son nez dedans, comme toujours, nous amenant sur des sentiers escarpés, non sécurisés, mais qui, avec le recul, nous auront été salutaires… Comme toujours… Alors sans plus attendre, disons-le : merci la Vie ! Oh oui, merci la Vie. Louanges à part, elle nous aura quand même bien fait peur cette coquine, car on a bien cru qu'on allait se perdre dans cette histoire. Là d'ailleurs, je m'égare, il est temps de raccrocher les wagons.

Elise, elle, avait un temps d'avance. Elle sentait qu'elle devait retourner à la terre, et faire quelque chose pour la Terre. Elle savait surtout qu'elle ne voulait plus être derrière un ordinateur toute la journée. Moi, je sentais juste que la vie me prenait la main, et je savais que quand elle faisait ça, il ne fallait pas la lâcher, quoi qu'il se passe. Lui faire confiance. Même quand Elise et elle ont décidé de m'envoyer faire un stage de permaculture dans l'Ardèche, au Viel Audon. À ce moment-là, j'étais associal et en train de me détruire physiquement et mentalement. Alors savoir que j'allais passer quinze jours avec des inconnus, loin de chez moi, ça ne m'enchantait pas du tout. Mais comme Elise avait bataillé pour obtenir une place mais qu'elle ne pouvait y aller, il fallait la remplacer. Quand ils ont fait l'appel, c'était toujours son nom, et moi je disais : « En fait je suis son mari et je la remplace. » À cet instant, je ne savais pas encore que j'allais prendre une claque monumentale et que ces quinze jours dans ce lieu chargé d'aventures humaines allaient changer ma vie.

De son côté, Elise commençait sa formation d'herboriste et se préparait à passer le diplôme d'agricultrice. Elle se concentrait sur le projet, avec cette longue et fatigante phase d'élaboration. Difficile pour elle de bosser tout ça sans mettre les mains dans la terre, mais pas le choix, car on n'y connaissait rien. Elle s'est retrouvée au milieu de futurs agriculteurs, dont pas mal d'éleveurs, et beaucoup issus de l'agriculture conventionnelle. Pas facile tous les jours, mais néanmoins très instructif car elle a pu apprendre le langage agricole, et surtout faire des rencontres capitales pour la suite du projet.

Du kiwi au paradis ?

C'est lors d'un stage pratique que tout va basculer. Grâce à Manu, son prof d'arboriculture, Elise se retrouve à Castagnède dans le Béarn, chez un certain Jean-Marc, personnage haut en couleur et producteur de kiwis bio. Cela fait 30 ans qu'il est bio et il aime bien les profils atypiques. Elise lui parle de son parcours, de son projet, et lui explique qu'elle cherche un terrain. Jean-Marc lui dit qu'il a peut-être des terrains qui pourraient l'intéresser, faut voir. Elle le prend au mot et… elle va voir. Un premier terrain, bof. Un deuxième, mouais… Et puis, il lui dit qu'il en a un autre mais qu'il ne le vend pas, car c'est son terrain de cœur. Par curiosité, elle demande à le voir et là… le coup de foudre. Un terrain rare, unique, qui réunit toutes nos conditions, car ce n'est pas un simple terrain agricole plat et dégarni. Il y a de la vie, il y a de la forêt et donc de la matière, il y a des bosses, bref c'est varié, original, vivant. Cela fait aussi 20 ans qu'il n'est plus cultivé, la vie y a donc repris ses droits et on pourrait commencer direct en bio. Pour Elise, c'est évident, c'est là. Pour moi… Je suis toujours en pleine crise existentielle, pas prêt. En fait, j'ai peur. Peur de plein de choses. Jean-Marc le sent, et du coup, il ne veut pas nous envoyer au casse-pipe. Sa femme Monique est d'accord avec lui, et ils font comprendre à Elise que ça ne va pas le faire, même s'ils étaient prêt à changer d'avis concernant la vente de ce terrain. Putain j'ai peur, c'est clair… Elise est triste, car je viens de gâcher son nouveau rêve.

Et là, bim bam boom, sortie de nulle part, une violente tempête s'abat sur notre vie. On se fait chahuter dans tous les sens, les vagues sont énormes, le bateau prend l'eau, il est prêt à couler… En fait, il coule… Mais peu après, le vent se calme, le soleil sort, pour nous illuminer sur notre radeau de survie. Car oui, avant de couler, on avait heureusement eu le temps de sortir le radeau. Quelques coups de rame plus tard, nous étions de retour sur la terre ferme. Heureux de s'en être sortis, et grâce à cette expérience, encore plus forts et soudés qu'avant. Oui, vous avez raison, que de poésie romanesque pour ne pas étaler un épisode intime de notre vie…

Après l'enfer, retour au paradis

De là, on se dit qu'on va totalement changer de lieu de vie. Ok pour le projet, mais ailleurs, loin de notre vie d'avant. Cherchons des terrains dans d'autres contrées. Direction la Bretagne. C'est beau, y'a de belles personnes, du surf. Mais niveau terrains agricoles, c'est très classique, et la loi du littoral complique beaucoup de choses. Puis on descend vers la Charente. Pareil. Un peu plus bas, on trouve un terrain sympa. On y pique-nique, on s'y sent bien, et on commence à s'y projeter. Quand d'un coup un bruit, celui d'une énorme machine qui s'apprête à balancer son pesticide malgré le fort vent… Ok, si on s'installe ici, on finira inculpé de meurtre sur voisin. On laisse tomber. Après avoir vu tant de terrains, je réalise que celui de Jean-Marc est exceptionnelle, rare, voire unique… Elise, elle, le savait depuis le début. Je commence à me mordre les doigts, et sans sel, c'est un peu fade. Faut que je leur parle, faut rattraper le coup. On y retourne, on discute, et je leur explique qu'ils ne s'étaient pas trompés : lors de notre première rencontre, je n'allais pas bien, j'avais effectivement peur. J'avais besoin de prendre cette tempête dans la tronche, de sentir la noyade. Fallait que je meurs… Mais aujourd'hui, je suis vivant, je vais bien et je n'ai plus peur. J'ai vu dans leurs yeux qu'ils voyaient bien quelqu'un de différent, complètement métamorphosé. Et puis leur terrain, c'est le plus beau de la planète ! Allez, dites oui, s'il vous plaît… Ils ne le feront pas le soir même, mais après leur conseil conjugal, ils finiront par nous dire… oui ! Putain ça y est, on y est, c'est parti pour une nouvelle vie ! Maintenant, faut s'y mettre, parce que là-bas, il n'y a rien, pas même un chemin carrossable pour y accéder… La suite au prochain épisode, comme ils disent dans La Petite Maison dans la Prairie.